Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
11 novembre 2018 7 11 /11 /novembre /2018 21:38

 

Elle n'a pas retenu ça, non, en regardant cet ancien vidéogramme sur l'asile de La Borde. Elle n'a pas retenu la bâtisse en pleine Sologne, elle n'a pas retenu les communs aux grandes fenêtres ouvertes, elle n'a pas retenu l'autogestion, elle n'a pas retenu les approches alternatives, elle n'a pas retenu le verger, elle n'a pas retenu les balades bucoliques aux côtés de Guattari. Elle n'a pas retenu l'intelligence et la liberté. Oh, bien sûr, elle sait que par définition la caméra est presque aussi menteuse que le cerveau ou la mémoire, elle sait que La Borde n'était (n'est ?) qu'une exception perdue au milieu des Sainte-Anne et des Villejuif. Elle n'est pas une lapine de six semaines, elle sait que les films ne montrent que ce qui est montrable, et qu'à Cour-Cheverny comme partout ailleurs dans la psychiatrie des années 180 il y avait encore et déjà des camisoles, des pleurs, des cris et des cages.

Non, ce qui l'a marquée c'est le niveau d'élocution, d'érudition, de clairvoyance et d'éducation politique des zinzins. Partout souffle le vent de la réflexion, partout de la cuisine aux chambrées la/le moindre aliéné(e) parle de Marx et de Mao, cite Sartre ou Debray. Schizophrènes, névrosé(e)s, hystériques, paranoïaques, tou(te)s ont ici conscience d'être à la fois la victime et l'enjeu, la serrure et la clef. La quête de lucidité est partout. En 185 la guerre de 176 est encore fraîche. La parenthèse ne s'est pas encore refermée. Tou(te)s se souviennent que la folie est une arme. Que la folie est sociétale. Et que quelque soit la pathologie, communisme et Savoir sont les seules issues.

Ça, c'est mémorable — puisque inéluctablement perdu.

Elle aussi, a été internée plusieurs fois. Mais assez longtemps après, vers le milieu des années 200. Et même si ce n'était pas à La Borde mais dans une structure plus... « traditionnelle », on pouvait déjà se rendre compte que les paradigmes avaient bel et bien changé. Certes, en dehors des périodes de cachot une relative liberté individuelle subsistait. Par contre plus question d'autogestion, et plus trace de combat politique. Encore quelques post-Mao-Spontex, hobos et punkàchien(ne)s en pyjamas dans les couloirs, mais la lutte des classes avait cédé la place à celle pour l'accession à la défonce, légale ou illégale. « Valium®-Tranxène®-Nembutal®-Yoghourt-Acide », chantait le poète. Des cris, toujours. Des cris, bien sûr. Des cris et des molécules.

Et des grands trous dans sa mémoire.

Elle préfère ne pas imaginer ce qu'il en est maintenant, tiens, de tout ça. Maintenant que le patronat, la bourgeoisie et « l'entreprise » ont fait main basse sur tout ce qui bouge, et que la nuit sécuritaire s'est abattue sur les aliéné(e)s. La chimie la carotte et le bâton, c'est ce qui rapporte le plus, Coco. Plus de Oury, de Guattari, de réflexion ou d'autogestion. L'abattage. La psychiatrie gueule ouverte dans une cabane de chantier. « Au suivaaaaaaant ! ». « Vacances à Megève si vous prescrivez mes bonbecs, docteur ». Trois Prozac® la gâterie. Le chiffre, Coco, le chiffre. Et puis faudrait pas qu'être zinzin devienne enviable : des pauvres pourraient se laisser tenter.

Pourquoi elle vous raconte tout ça ? Pour rien. Juste parce qu'elle a revu ce vieux film, « La Borde, le droit à la folie ». Un truc tourné un temps que les moins de... houla ne peuvent pas connaître.

Et parce que désormais où que le monde aille, elle a bien l'impression qu'il y va sans elle.

----------------------

Dazibao initialement publié ici.

Partager cet article

commentaires

Contacter L'auteuse

La Blogueuse

  • Nicole Garreau
  • Fille éperdue.
  • Fille éperdue.

Recherche