Elle est toujours assaillie à ce moment-là, lorsqu'elle traverse la plaine à pieds, quand rien d'autre dans l'uniformité du paysage n'attire l'attention qu'un poteau télégraphique ou une vague nuance entre deux ocres, entre deux jaunes, entre deux gris. C'est ici, dans ce coin de Vendée, près de ce parking depuis longtemps désaffecté, qu'elle se promet à chaque fois de vous conter tel ou tel épisode de cet autre temps, de cette autre vie, de ces autres pas, de ces autres plats. Qu'elle se promet, tant qu'elle s'en souvient, de vous décrire les étendues à l'approche de la Mer du Nord ou de la Baltique (« Ah ? Vous habitiez chez vos harengs ? »), de vous conter l'étreinte de l'air et le vent, le havresac qui cisaille les épaules, les soirées d'ivresse avec la mirifique Hilde aux cheveux rouges, maîtresse déchue du monde dont le vieux Barkas® en panne et les trois chiens s'étaient échoués un jour sur l'ultime parcelle de bitume entre les champs et les dunes, et qui attendait un bon dieu en se nourrissant de vodka, de tristesse et d'embruns.
Le début des années 190.
Un autre temps, elle vous dit.
À moins qu'elle n'ait tout rêvé.
Mais ça l'étonnerait, elle n'a aucune imagination.
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Dazibao initialement publié ici.
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