« Six euros soixante-quinze s’il vous plait. » Laura s’est lentement décomposée, sa voix a chuté, quasiment imploré le « s’il vous plait ». Elle a tour à tour scruté l’objet – une petite housse Walt Disney en toile fluorescente destinée à recevoir un téléphone -- et l’écran de la caisse enregistreuse. Elle aurait voulu disparaître sous le tapis roulant, au milieu des sacs en plastique, dans la corbeille à papiers, ne pas risquer de croiser le regard du client, se jeter à ses pieds en pleurant, jurer qu’elle n’y est pour rien, que ce n’est pas pour la payer elle, que si des gens continuent à acheter « ça » d’autres gens continueront à le vendre. Elle aurait voulu crier « Nooooooon ! », s’il vous plait, arrêtez, emmenez-moi, six euros soixante-quinze, offrez-moi un café, une rose, n’importe quoi, venez avec moi, regardons la nuit, ce n’est pas beau la nuit ?
D’habitude elle voit arriver le moment, elle se débrouille pour scanner l’objet en milieu de transaction, pas au début, pas en fin, pas au moment où le client aurait tout loisir de contempler un prix affiché trop longtemps. Noyer l’achat dans la masse, le rendre naturel, sourire au client, être gentille, disponible, compréhensive.
L’homme la regarde, la trouve belle peut-être – ou peut-être ne la voit pas. Les pièces s’alignent entre eux, la transaction est conclue, Laura est soulagée, la solitude est immense.