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8 février 2013 5 08 /02 /février /2013 18:01

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Je ris aux éclats parce qu’en relisant ton courriel avant de me décider à y répondre je me suis aperçu que je ne savais pas lire. Tu m’as écrit « Dans ce contexte, tu penses pouvoir mieux fonctionner en mode dialogue, plutôt qu’en « pondaison » pure ». Et j’avais lu « pendaison ». Je n’étais même pas surprise, je trouvais que ça collait bien. On a beau tout changer on ne se refait pas.

 

Oui, je ne sais pas comment aborder la chose ; l’idée — ton idée — de cette rédaction est bonne. J’ai curieusement une image assez nette de l’orientation que devraient prendre les choses et une notion assez floue de la manière de procéder pour y parvenir. Je le vois, ce « dialogue » ou plutôt non d’ailleurs, cette confrontation de monologues. Une écriture en échos plus qu’en réponses, des récits en parallèles dont on ignore si elles le sont réellement. Peut-être que tout ça se croise et se recroise, peut-être que non ; c’est peut-être un rêve, des rêves que nous avons fait de cette vie, chacun de notre côté, avec une lueur de loin en loin, un mirage dans lequel nous nous reconnaissons ou avons envie de nous reconnaître.

 

Suis-je si vieille ? Je ne le sais pas, je sais seulement que j’arrive au bout, au bout de quelque chose, au bout de moi-même et oui, j’ai ce besoin maintenant de raconter, comme si j’avais peur un matin de me rendre compte que j’ai vécu tout ça pour rien. Vécu et non vécu. Comme si j’avais peur de ne plus me croire moi-même à mesure que les choses s’éloignent. Comme si je ne pouvais plus garder moi pour moi, ne plus garder mes rires, mes pleurs, mes amours, mes révoltes, la tournure que j’ai été souvent si près de leur donner, la limite avec laquelle j’ai tant de fois flirté. Tout ce qui s’est éteint, mais aussi tout ce qui étrangement continue à bouillir avec la conscience désormais de l’irréalité des choses, de l’irréalité peut-être des mensonges dont je me suis moi-même nourrie. De ma propre irréalité.

 

Il y a beaucoup de questions dans tes questions, et certainement beaucoup auxquelles je serais incapable d’apporter la moindre réponse. Mais j’aime l’approche, c’est quelque chose à quoi m’accrocher, c’est comme si tu me tendais une main. J’ai peur de ne pas savoir l’attraper, je vais essayer, je vais essayer de t’en tendre une en retour — essayer parce que je suis un peu cabossée et ignore si je peux faire partager mes névroses autant que j’ignore si je suis apte à accueillir celles d’autrui. Mais tu es un gentleman, il y en a peu, très peu, et je me demande d'autre part si on ne se connait pas mieux que nous pourrions être tentés de le croire.

 

Je ne vais bien sûr pas te répondre en un seul courriel. Ce serait gâché, et puis il faut que je fasse le tri, moi-même, dans ma petite tête. Néanmoins tu me demandes ce qu’à quarante-six ans je serais devenue dans un monde « idéal », et je pense que tu en sais assez de moi pour avoir déjà imaginé ma réponse. Dans un monde idéal je ne serais RIEN devenue, dans un monde idéal je n’aurais pas été là.

 

Mais j’y suis, et malgré la « non-linéarité du temps » cela dure. Je dis souvent que ça fait quarante-six ans que je suis persuadée mourir à vingt ; tout le monde croit que je plaisante et cède au seul attrait du « bon mot » alors que je ne suis jamais aussi sérieuse que lorsque je dis cela. C’est à vingt ans qu’il faut mourir, après on ne veut plus, après on s’accroche désespérément à cet échec en essayant de se persuader qu’il est une réussite. Vingt ans ou vingt-sept, tiens, pourquoi pas. Comme Joplin. Ou Hendrix.

 

Tu sais, je crois qu’à vingt ans j’avais déjà tout vécu, les vingt-six années qui ont suivi ne sont qu’un lent déclin juste parsemé de sursauts. Un émoussement des révoltes, une noyade dans les éthers. Je suis morte une première fois en 1986, seulement quatre ans après ma vraie naissance et quelques mois avant la fin d’Action Directe. Les deux choses ne sont bien sûr pas liées ; le fil de ma vie rend juste la concomitance « amusante ».

 

Ça ne répond pas à ta question, hein ?

»

 

N.D.L.A. Merci à mon ami R.W. qui m'a autorisée à publier ici ce morceau de notre informelle correspondance.

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